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Loi Sapin 2 : la compliance au service de la lutte contre la corruption

Clé de voûte de la « compliance » française, la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Loi Sapin 2 » est d’une importance capitale en matière d’éthique et de conformité.

by Linda Couturier Sadgui

    Promulguée le 9 décembre 2016, la loi Sapin 2 est entrée en vigueur le 1er juin 2017. Les dispositions de cette loi consistent notamment en la création de l’Agence française anticorruption  l’instauration d’un statut protecteur du lanceur d’alerte et diverses mesures dédiées à la lutte contre la corruption, parmi lesquelles le dispositif de compliance.


    Aux origines de la loi Sapin 2

    La loi Sapin 2 est la petite sœur de la loi Sapin de 1993. Avec 23 ans de différence, il s’agit d’un véritable écart générationnel. Malgré la présence de son aînée dans le paysage législatif français, la lutte contre la corruption n’était pas satisfaisante en France. Ces insuffisances ont conduit les autorités étrangères de lutte contre la corruption à viser des entreprises françaises.

    En raison de l’extraterritorialité des lois anticorruption américaine (le Foreign Corrupt Practices Act de 1977) et britannique (le UK Bribery Act de 2010), la loi Sapin 2 constituait un enjeu de souveraineté afin que la France reprenne le contrôle sur les investigations et les sanctions visant des faits commis par des entreprises françaises, et ce notamment à travers la création de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Mais c’est également à travers l’article 17 de cette loi Sapin 2, qui impose aux grandes entreprises et à leurs filiales, ainsi qu’aux administrations et aux collectivités, de mettre en œuvre un dispositif de prévention et de détection de la corruption que la notion de compliance va prendre tout son sens.

    Loi Sapin 2 : les assujettis et les obligations à appliquer

    La loi Sapin 2 impose que plusieurs mesures soient mises en place au sein des sociétés employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros. Déclinées en huit composantes, ces mesures qui constituent le dispositif de prévention et de détection de la corruption ont d’ailleurs été précisées par l’Agence française anticorruption, à travers la publication de recommandations et guides dédiés. Ces recommandations constituent un guide pour les entreprises qui doivent appliquer ce texte.

    Le code de conduite

    Le code de conduite est un document mis à disposition de tous les collaborateurs et intégré au règlement intérieur de l’entreprise. Il définit et illustre les comportements proscrits (les atteintes à la probité comme la corruption, trafic d’influence…) et ceux à adopter dans la conduite des activités de la société. Il traduit la volonté des dirigeants de se montrer intransigeants en présence de certains comportements. Ce code de conduite s’adresse à tous les salariés d’une société, et est généralement communiqué lors de chaque recrutement.

    Le dispositif d’alerte interne

    Le dispositif d’alerte interne doit être mis en place dans les entités soumises à la loi Sapin 2. Il permet le recueil des signalements des comportements ne respectant pas les impératifs du code de conduite, de la loi et du règlement. L’objectif poursuivi est d’offrir aux employés et aux tiers un outil leur permettant de faire connaître des comportements contraires à l’éthique. Pour rappel, c’est aussi à travers la loi Sapin 2 que les lanceurs d’alertes vont se voir octroyer un véritable statut protecteur, inexistant en France avant la loi Sapin 2. Cette innovation permet de placer la France parmi les pays les plus protecteurs en la matière. Plus récemment, la loi du 21 mars 2022 dite loi Waserman a modifié le dispositif de protection du lanceur d’alerte prévu par la loi Sapin 2 en élargissant la définition du lanceur d’alerte, en facilitant les canaux de signalement et enfin en assurant une protection spécifique aux proches des lanceurs d’alerte.

    La cartographie des risques

    Cœur d’un programme de conformité, la cartographie des risques est une documentation vivante qui s’enrichit et doit être actualisée tout au long de la vie de la société. Ce document identifie, analyse et hiérarchise l’ensemble des risques de corruption auxquels la société est exposée en fonction du secteur d’activité et des zones géographiques dans lesquelles la société opère. Il est donc fondamental d’avoir une bonne connaissance de ces activités et différentes catégories fournisseurs (stratégiques, opérationnels, prestataires des fonctions support, etc.) intervenant dans la chaîne de valeur afin de retranscrire fidèlement les risques liés aux processus de l’entreprise. Cartographier les risques c’est aussi distinguer le risque inhérent (celui qui est apprécié avant la mise en place des mesures) du risque résiduel (après avoir identifié les mesures de maîtrise des risques existants au sein de l’entité). Enfin, La cartographie des risques permet d’établir un plan d’action efficace pour prévenir les faits de corruption.

    Les procédures d’évaluation des tiers

    Conçues pour permettre d’évaluer la situation des clients, fournisseurs, partenaires ou encore intermédiaires, ces procédures sont devenues un véritable laisser-passer pour entrer en relation contractuelle avec un tiers. À travers l’analyse de la conformité des tiers au regard des législations anticorruption, l’objectif est la maîtrise du risque et donc de contribuer à endiguer le mécanisme de corruption, et de purger de l’économie les acteurs manquant de probité. En pratique les procédures d’évaluation des tiers constituent un outil indispensable en amont de toute relation contractuelle avec un tiers. Utiles également au cours de la relation contractuelle, ces procédures déterminent la possibilité de poursuivre la relation d’affaire ou d’y mettre un terme. Il s’agit là d’un outil fondamental pour écarter les risques de corruption liés aux tiers, tels que ceux intervenant dans la chaine d’approvisionnement. Chaque interaction doit être maitrisée afin de s’assurer qu’une transaction avec un fournisseur ne dissimulerait pas un acte de corruption d’un client, d’un salarié ou d’un agent public, par exemple.

    Les procédures de contrôles comptables, internes ou externes

    Ces procédures permettent de s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés par la société pour masquer des faits contraires à la probité. Les contrôles mis en œuvre constituent un barrage comptable et permettent de mettre en lumière des incohérences résultant de faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés en interne par la société ou par un auditeur externe lors des audits de certification.

    Le dispositif de formation

    Un programme de conformité n’est viable que s’il est effectivement appliqué par les employés. La lutte contre la corruption prend véritablement toute sa force lorsqu’elle est appliquée au quotidien par l’ensemble des collaborateurs d’une société. Le dispositif de formation permet donc de former les collaborateurs à la lutte contre la corruption en leur exposant qu’un comportement en apparence anodin constitue en réalité un fait de corruption ou de trafic d’influence. Régulièrement mis en œuvre, le dispositif de formation permet d’asseoir la lutte contre la corruption au sein d’une société par la sensibilisation des opérationnels quotidiennement exposés à des risques de corruption. Le contenu du dispositif de formation sera à la fois généraliste pour permettre notamment l’identification des différentes formes de corruption et ciblé en s’adaptant aux risques identifiés dans la cartographie.

    Le régime disciplinaire

    L’ensemble des précédents piliers ont pour objectif d’imposer un comportement éthique. Si malgré la mise en œuvre de ces piliers des comportements contraires au code de conduite sont constatés, des sanctions disciplinaires sont prononcées à l’encontre des auteurs pour sanctionner ces violations.

    Le dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre

    Cette dernière composante consiste à analyser la mise en œuvre effective et la cohérence d’ensemble du dispositif anticorruption de l’entreprise. L’objectif poursuivi est d’évaluer cette mise en œuvre pour la parfaire et détecter les éventuels manquements. Pour assurer son efficacité ce dispositif doit être périodique.

    Le contrôle de la mise en œuvre des obligations

    La création de l’Agence française anticorruption a permis d’assoir la légitimité de ce dispositif à travers son rôle dans le contrôle de l’effectivité des mesures mises en œuvre et de la sanction des entreprises en cas de défaillance de leur part. Une agence qui tire elle-même sa légitimité de son indépendance. Service à compétence nationale placé auprès du ministre de la Justice et du ministre chargé du Budget dont le directeur dispose d’une indépendance en vertu de laquelle il lui est interdit de solliciter ou de recevoir d’instruction d’une quelconque autorité administrative ou gouvernementale.

    L’AFA contrôle le respect des mesures et procédures imposées par la loi Sapin 2 et établit un rapport contenant des observations sur la qualité du dispositif de lutte contre la corruption ainsi que des recommandations pour améliorer le dispositif en place au sein de l’entreprise.

    Les sanctions en cas de manquement

    Si un manquement aux dispositions de la loi Sapin 2 est constaté, la responsabilité de la société en tant que personne morale peut être engagée et celle de ses dirigeant en tant que personne physique.

    Dans un premier temps, le magistrat qui dirige l’agence met la société concernée en mesure de présenter ses observations et peut par la suite lui adresser un avertissement. Il a également la possibilité de saisir la commission des sanctions soit pour enjoindre la société et ses représentants à adapter les procédures de conformité destinées à la prévention et à la détection des faits de corruption, soit pour que soit infligée une sanction pécuniaire. Dans cette dernière hypothèse, il notifie à la société et à son représentant ce qui lui est reproché.

    La commission des sanctions peut prononcer une sanction pécuniaire d’un montant maximal d’un million d’euros à l’encontre de la société et jusqu’à 200 000 euros à l’encontre de son représentant. Le montant de la sanction est proportionné à la gravité des manquements et à la situation financière de la personne physique ou morale sanctionnée. Par ailleurs, et dans un souci d’exemplarité, la commission des sanctions peut ordonner que la sanction soit publiée, diffusée ou affichée.

    Outre ces sanctions de nature administrative qui répriment l’absence de mise en place d’un dispositif anticorruption, les assujettis à la loi Sapin 2 encourent des sanctions pénales si des faits de corruption sont avérés. La loi Sapin 2 a instauré un mécanisme de justice transactionnelle pour les personnes morales soupçonnées de tels faits, il s’agit de la CJIP (convention judiciaire d’intérêt public). La CJIP permet aux personnes morales de choisir le paiement d’une amende d’intérêt public pouvant aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires (avec possibilité d’assortir l’amende d’un programme de conformité) plutôt que de faire l’objet de poursuites judiciaires.

    Ces sanctions pour non-conformité ou en cas de corruption infligées à une entreprise peuvent avoir un impact dévastateur sur sa réputation. Non seulement l’image publique de l’entreprise en ressort ternie, mais elles peuvent également éroder la confiance des clients, des investisseurs et des partenaires commerciaux. L’association de l’image d’un groupe à des pratiques illégales peut entraîner une perte de crédibilité et de respectabilité sur les marchés financiers et entrainer une difficulté à attirer de nouveaux talents. En fin de compte, la reconstruction de la réputation après de telles sanctions exige un effort considérable. Des actions concrètes, coûteuse et inscrites sur le long terme pour restaurer la confiance et l’intégrité de l’entreprise dans ses opérations.

    Une lutte continue

    L’impact de la loi Sapin 2 a été évalué dans un rapport présenté par les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix en 2021, qui a donné lieu à une proposition de loi dit « Sapin 3 » le 19 octobre 2021 destinée à apporter les améliorations identifiées dans leurs recommandations pour parvenir à une législation anticorruption plus robuste.

    Par ailleurs, la loi de transposition de la directive européenne relative à la protection des lanceurs d’alerte a pour effet de modifier les dispositions de la loi Sapin 2 relatives aux lanceurs d’alerte. La loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, dite loi Waserman, a pour objectif d’améliorer la protection du lanceur d’alerte et modifie les dispositions de la loi Sapin 2 de 2016.

    Malgré ces avancées, en 2023, la France était au 20e rang de l’indice mondial de perception de la corruption de Transparency International, elle ne progresse que d’une place dans le classement par rapport à l’année 2022.

    Dans un but d’amélioration continue, des recommandations en date de septembre 2023 issues de la réflexion de quatre enseignants-chercheurs de plusieurs universitésfrançaises et de l’Observatoire de l’éthique publique ont pour objectif de relancer la proposition de loi de 2021 abandonnée.

    L’objectif de cette loi est d’améliorer les dispositifs déjà existants en s’appuyant sur 5 axes :

    • Confortant le rôle de l’AFA dans ses missions de conseil et de contrôle pour la lutte contre la corruption.
    • Accentuer la transparence dans la commande publique, avec la création d’un registre national des opérateurs économiques non admissibles aux contrats de la commande publique. Les contrats de vente d’immeubles publics relevant du domaine privé de personnes publiques devront également être plus transparents.
    • Rendre plus attractif l’outil de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et clarifier ce régime.
    • Améliorer l’encadrement des représentants d’intérêts.
    • Améliorer les contrôles déontologiques dans la fonction publique.

    Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a semblé reprendre le flambeau de son prédécesseur Michel Sapin, en annonçant sur X (anciennement Twitter), travailler à de “nouvelles mesures” de lutte contre la corruption, “le ver qui peut pourrir le fruit de la démocratie”. Il pourra notamment s’agir de “renforcer les contrôles de l’AFA dans certains secteurs définis comme sensibles”. Sapin 3 ou Le Maire 1, la machine de la compliance anti-corruption est à la relance !

    Plus récemment, le Groupe d’États contre la corruption (GRECO) a rendu un rapport de conformité sur la France. Si dans son précédent rapport, le Greco avait adressé à la France 18 recommandations, le Groupe estime aujourd’hui que 6 de ces recommandations n’ont toujours pas été appliquées.  Le rapport conclu que le pays ne se conforme pas suffisamment aux recommandations et devra donc présenter un rapport relatif à l’avancement de la mise en œuvre des recommandations avant le 31 mars 2025.

    En savoir plus : https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr

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    Linda Couturier Sadgui
    Linda Couturier Sadgui

    Head of Marketing Communications – EQS Group | Linda possède 20 ans d’expérience en marketing et communication B2B dans le secteur des services financiers et de l’information dont 14 ans au niveau paneuropéen. Avant de rejoindre EQS Group en mars 2018, Linda a occupé les fonctions de Head of Marketing Communications Strategy EMEA chez Euronext, Thomson Reuters puis Nasdaq. Linda est diplômée d’un Master en Marketing de PSB Paris School of Business (Ex ESG Management School).

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